Témoignages de la spiritualité et du génie artistique roumain
La prochaine célébration de deux milles ans depuis la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ nous fait penser non seulement aux commencements et à la continuité de la vie chrétienne en terre roumaine, mais encore au rôle que l'Église a joué dans la vie culturelle, artistique et même nationale et politique des habitants de ces contrées.
La matière de ce CD-ROM nous amène à signaler quelques idées se rattachant aux établissements de culte que nous ont légués, en héritage sacré, nos illustres ancêtres - princes régnants, grands dignitaires, prêtres, moines ou simples laïcs fidèles - que Dieu a depuis longtemps appelés chez Lui.
Tout le monde sait que la prédication de l'Évangile par Jésus-Christ en Terre Sainte fut continuée par Ses apôtres partout dans le monde, à l'époque. Le saint apôtre André, «le premier appelé» pour accomplir cette mission, a prêché l'enseignement de Jésus-Christ parmi nos ancêtres, les Géto-Daces, qui vivaient sur la côte occidentale du Pont Euxin, sur les territoires compris entre le Danube et la mer Noire. C'est là que furent érigées les premières saintes demeures, modestes, improvisées dans les maisons de ceux qui s'étaient rapprochés de Jésus-Christ par le baptême. Cependant, après l'an 313, lorsque l'empereur Constantin le Grand accorda la liberté à la foi chrétienne, par le biais du célèbre Édit de Mediolanum, une action suivie aboutit à la construction d'établissements de culte solides, faits de pierres et de briques, censés durer au-delà des siècles. C'est ce qui explique comment, sur les territoires compris entre le Danube et la mer Noire, formant après l'an 297 la province de Scythie Mineure, plus de 35 basiliques paléo-chrétiennes ont été érigées aux IVe-VIe siècles.
Dans les autres contrées du territoire roumain de nos jours, quelques-uns des édifices publics de l'ancienne province romaine de Dacie furent transformés en saintes demeures chrétiennes, aussitôt après le départ de l'armée et de l'administration romaines. C'est ce qui se passé à Slaveni (département d'Olt), Moigrad (ancienne Porolissum, département de Salaj), mais surtout dans le voisinage de la cité romaine fortifiée de Sarmizegetusa, à Densus, où un monument funeraire devait servir de demeure chrétienne de culte aussitôt après 271-275 et qui, affrontant le temps, nous impressionne toujours. Des basiliques chrétiennes avaient été érigées aux Ve-VIe siècles à Sucidava (de nos jours Celei-Corabia) et à Morisena (aujourd'hui Cenad, département de Timis), et plus tard à Dinogetia (Garvan) et à Niculitel (nord de la Dobroudja); de petites églises rupestres auraient existé à Basarabi, près de Constanta, dans les monts de Buzau, dans le département de Salaj, à Butuceni, sur la rive du Dniestr; les ruines d'une église datant des IXe-XIIIe siècles ont été signalées à Dabâca (département de Cluj), puis d'autres demeures de culte chrétiennes à Cetateni (département d'Arges) et ainsi de suite.
La naissance des premières formations politiques sur toute l'aire géographique et ethnique roumaine marque le début d'une remarquable œuvre de construction d'églises et de monastères, dont beaucoup se sont conservés jusqu'à nos jours. Nous pourrions citer en exemple l'église de Sânicoara, plus tard «princière» de Curtea de Arges, œuvre du prince Bassarab le Fondateur, les monastères de Vodita et Tismana, fondés, avec l'aide des princes régnants, par un moine venu du sud du Danube, au nom de Nicodème, puis Cozia, fondé par Mircea l'Ancien, qui y repose, ou bien Cotmeana, Snagov et tant d'autres, remontant au XIVe siècle.
La série des célèbres établissements de culte en Moldavie, fondés par le prince Bogdan et la dynastie des Musat débute par l'église Saint-Nicolas de Radauti, suivie des monastères de Neamt, Probota, Bistrita, Humor, Capriana (en Bessarabie, sur l'autre rive du Prout) et toute une somme d'églises dans les villages et les bourgades, dont notamment l'église de Mirauti, à Suceava, qui accueille, par les soins du prince régnant de Moldavie Alexandre le Bon, la relique de Saint-Jean-le-Nouveau. C'est au petit-fils du prince Alexandre, le prince regnant Étienne le Grand, que la Moldavie doit une époque nouvelle et brillante dans l'histoire de l'art roumain, illustrée par les célèbres églises ou monastères de Putna, Voronet, Razboieni, Dobrovat, Patrauti, Tazlau, Suceava, Jassy, Neamt, Vaslui, Botosani, Dorohoi, Reuseni et tant d'autres encore. Toutes ces constructions finissent par imposer un nouveau style dans l'architecture roumaine, baptisé du nom de «moldave», qui allie, sur fond byzantin, des éléments gothiques à des éléments de l'art populaire.
Lorsque nous parlons de l'art roumain au Moyen-Age, nous pensons sans doute à ces joyaux d'architecture de Moldavie, auxquels viennent s'ajouter plusieurs autres saintes demeures en Transylvanie, érigées au prix de grands sacrifices matériels par des knèzes locaux, des prêtres, des paysans ou des moines. En Transylvanie, les monastères roumains sont rares, ce qui n'est pas de nature à nous surprendre, puisqu'il n'y eut pas dans ces contrées de princes ni de boyards roumains à rattacher leurs noms à de telles œuvres. Néanmoins, quelques monastères y furent érigés aux XIIIe-XVe siècles, à Râmet (département d'Alba), Prislop (département de Hunedoara), Peri (Maramures), plus tard à Vad et Feleac (département de Cluj). Au Banat, nous pourrions citer les monastères de Hodos-Bodrog, Partos, Sredistea Mica, Varadia. On ne saurait pas oublier les magnifiques églises de Streisângeorgiu, Strei, Orlea, Ostrov, Pesteana, Sânpetru, toutes au Pays du Hateg, Gurasada et Lesnic, près de Deva, Criscior et Ribita, près de Brad, Sântimbru et Geoagiu, dans le département d'Alba, Seghiste, au Pays du Bihor, ou bien l'église Saint-Nicolas de Brasov, symbole éclatant de l'unité roumaine. Voilà autant de preuves de la piété de nos ancêtres, mais aussi de la continuité roumaine dans les contrées intracarpatiques.
Les XVIe-XVIIe siècles marquent l'apogée de l'art roumain médiéval. En Valachie, le monastère de Dealu, fondé par Radu le Grand, suivi quelques années plus tard de ce joyau magnifique de l'art post-byzantin qu'est le monastère de Curtea de Arges, fondé par le prince régnant Neagoe Bassarab et béni par le patriarche œcuménique Théolipte, en 1517, en sont deux brillantes expressions. L'église métropolitaine de Târgoviste et plusieurs saintes demeures fondées par les princes Radu Paisie, Mircea Le Berger et Michel le Brave, les établissements de culte construits par les soins des boyards - dont les frères Craiovescu, pour les monastères de Bistrita, Brancoveni, Sadova, Strehaia - et d'autres encore, à Calui, Gura Motrului, Stanesti, Bucovat, en Olténie - illustrent bien ce mouvement.
En Moldavie, la tradition inaugurée par Étienne le Grand est reprise par Petru Rares, fondateur des monastères de Moldovita, Probota (qui abrite plusieurs tombeaux princiers), de la cathédrale épiscopale de Roman, de plusieurs églises à Suceava, Hârlau, Botosani et ailleurs. C'est à ce même prince que l'on doit les fresques extérieures de plusieurs saintes demeures, dont notamment Voronet, Humor, Moldovita, qui feront l'éclat de l'art roumain médiéval. Pendant la seconde moitié du XVIe siècle, le prince Alexandru Lapusneanu fonda le monastère de Slatina, remania le monastère de Bistrita, fondé par Alexandre le Bon, et son épouse Ruxandra fit construire à Roman l'église de Notre-Dame-la-Grande. Vers la fin du siècle, le prince Petru Schiopul (Pierre le Boiteux) fonda le monastère Galata à Jassy, et la famille des Movila - les princes Jérémie et Siméon et le métropolite Georges - firent construire le monastère de Sucevita, dernière sainte demeure de grandes proportions, ornée de fresques extérieures.
Toujours en Moldavie, la suite des grands établissements de culte du XVIIe siècle débute par le monastère de Dragomirna, près de Suceava, construite par les soins du métropolite érudit Anastasie Crimca et continue par le monastère de Secu, fondé par le gouverneur Nestor Ureche et son épouse Mitrofana. Le prince régnant Vasile Lupu fait construire le monastère des Trois Saints Hiérarques à Jassy, avec sa magnifique ornementation sculptée en pierre, qui accueille la relique de Sainte Parascève, la patronne de la Moldavie, puis des églises à Galati, Orhei, Chilia Noua, Târgoviste (Stelea). Vers la fin du siècle, le prince Georges Duca fit ériger près de Jassy le monastère de Cetatuia.
En Valachie, c'est aux princes regnants Matei Basarab et Constantin Brancovan que l'on doit le plus grand nombre de saintes demeures. Le premier fit construire les monastères d'Arnota, dans les Monts de Vâlcea, Caldarusani, au nord de Bucarest, Strehaia, en Olténie, la cathédrale de Buzau et plusieurs églises paroissiales à Bucarest, Târgoviste, Pitesti, Craiova. Il fit également restaurer de vieux établissements de culte. Le prince-martyr Constantin Brancovan fit ériger les monastères de Hurez (qu'il avait choisi pour lieu de repos éternel), avec plusieurs chapelles et petits couvents, des églises séculières à Potlogi et Mogosoaia, les églises St-Sava, St-Jean-le-Grec et St-Georges-le-Nouveau, toutes à Bucarest; c'est toujours lui qui fit réparer et restaurer les saintes demeures fondées par ses prédécesseurs sur le trône de Valachie. Il n'oublia pas non plus les Roumains de Transylvanie et fit ériger des églises à Fagaras et à Ocna Sibiului, ainsi qu'un monastère à Sâmbata de Sus. Ses parents suivirent son exemple: le «spathaire» (commandant des armées) Mikhaïl Cantacuzino fit construire un monastère de Sinaïa et un autre à Bucarest (Coltea), le «spathaire» Toma Cantacuzino fit ériger une église à Filipestii de Padure. Le métropolite-martyr Antim Ivireanul (Antim d'Ivir) fit construire à Bucarest un monastère qui porte son nom et qui compte parmi les lieux les plus aimés par les fidèles.
L'époque dite «phanariote», qui couvre le XVIIIe siècle et le début du XIXe (jusqu'en 1821) n'est pas riche en constructions monastiques. On peut pourtant citer, rien que pour Bucarest, le monastère de Vacaresti, fondée par le prince Nicolas Mavrocordat et démolie par les autorités communistes, et le monastère de Pantelimon, dû au prince Grégoire II Ghica, puis les églises St.-Spiridon l'Ancien, construite par les soins de Constantin Mavrocordat, et St.-Spiridon-le-Nouveau, due à Scarlat Ghica. Au début du XIXe siècle, plusieurs moines et religisues font construire de petits monastères et couvents: Cocos et Taita, en Dobroudja, Pasarea et Ciorogârla, près de Bucarest, Stânisoara, près de Calimanesti et autres. Pour la Moldavie, il faut citer le monastère Frumoasa, à Jassy, restaurée par Grégoire II Ghica, le monastère de Varatec, construite par les soins de Mère Olimpiada et du prêtre-confesseur Iosif et plusieurs petits monastères: Pocrov, Vovidenie, Sihastria et, sur l'autre rive du Prout, en Bessarabie, Hârbovat, Hârjanca, Hâncu, Dobrusa, Suruceni et autres. En Transylvanie, tous les monastères orthodoxes furent malheureusement détruits sur l'ordre du général autrichien Nicolas-Adolphe Bukow; seuls ceux du Banat furent épargnés.
Au XIXe siècle, surtout après la sécularisation des biens des monastères en 1863, on fit construire plusieurs cathédrales épiscopales et églises paroissiales. La vie monastique reprit après 1918, mais elle fut interdite sous le régime communiste et ne put renaître qu'après 1989, si bien que l'Église orthodoxe compte aujourd'hui plus de quatre cents établissements monastiques partout en Roumanie.
Pendant cette longue période d'existence d'une vie monastique organisée, les monastères ont tenu un rôle à part dans l'histoire des Roumains et de leur spiritualité. Ils ont fait de ces contrées une «terre sainte», un lieu des grandes valeurs culturelles et artistiques, de la prière et de l'amour du Bien et de la Beauté. Des moines érudits et vénérés y ont vécu, dont plusieurs ont été canonisés. Dans tous les monastères, les moines et les religieuses ont su allier le travail et la prière, pour eux comme pour les êtres qu'ils aimaient et qui étaient restés vivre dans «le monde». Les fêtes annuelles des monastères ont réuni des milliers de fidèles des environs, qui y sont allés avec leurs prêtres, contribuant ainsi à la préservation de la foi des gens du terroir.
Des milliers de moines transylvains ont vécu dans les monastères de Valachie et de Moldavie, après avoir été chassés de chez eux par les autorités d'autres souches et croyances; eux aussi ont aidé à la consolidation de la conscience de l'unité nationale roumaine.
Les monastères roumains n'ont pas été que des lieux de recueillement, de prière et de vie monastique, vécue selon les enseignements de l'Évangile et des grands ordonnateurs, mais aussi de remarquables institutions de culture. Nombre de manuscrits liturgiques, de textes patristiques et post-patristiques y ont été copiés, d'abord en vieux slave, puis en roumain, par des calligraphes renommés et des prieurs, tel Gavril Uric du monastère de Neamt, pendant la première partie du XVe siècle, suivi des grands copistes du temps d'Étienne le Grand, aux monastères de Neamt et de Putna. À partir du XVIe siècle, les monastères ont accueilli les premières imprimeries roumaines, à Dealu, Plumbuita, Câmpulung, Govora, Jassy (les Trois Hiérarques), ou bien dans les monastères-cathédrales de Târgoviste, Alba Iulia et Jassy et, au début du XIXe siècle, à Neamt. C'est toujours là que furent créées les premières écoles roumaines, où s'instruisaient de jeunes moines ou des enfants des villages voisins, mais aussi les premières écoles secondaires, tel le collège du monastère des Trois Hiérarques à Jassy et, plus tard, les premières écoles pour le clergé, telles celles de Putna, Antim (Bucarest), Socola (Jassy) et Neamt.
Les premiers établissements d'assistance sociale et de soins ont leur origine toujours aux monastères: les hôtels-Dieu de Neamt, Putna, Cozia, Dragomirna, plus tard les hôpitaux auprès des monastères de Coltea, Pantelimon (Bucarest), Notre-Dame-la-Grande (Roman), Saint-Spiridon (Jassy), le Prophète Samuel (Focsani) et tant d'autres.
Les monastères ont vu éclore l'art de la fresque, la peinture des icônes, la sculpture sur bois et sur pierre, la broderie. Les peintures intérieures et surtout extérieures de certains monastères les ont rendu célèbres dans le monde entier, et les icônes peintes par les moines sont unanimement admirées.
Les monastères roumains ont envoyé des aides pour les «lieux saints» d'autres peuples, dont notamment au Mont Athos, aux quatre patriarcats apostoliques de Constantinople, à Alexandrie (Égypte), en Antioche continentale et dans les îles de Grèce, dans les pays slaves au sud du Danube, dans l'idée de la préservation aussi bien la foi orthodoxe que de l'existence de certains peuples orthodoxes menacés par le Croissant. Par ailleurs, des moines grecs, russes, ukrainiens, bulgares et serbes et même des juifs baptisés dans la foi orthodoxe ont vécu dans les monastères de Valachie et de Moldavie, qui sont ainsi devenus de véritables centres inter-orthodoxes, sinon authentiquement œcuméniques.
Les monastères de Roumanie ont donc été des centres rayonnants de vie monastique, culturelle, artistique, sociale, nationale et œcuménique. Ils nous appellent toujours à la prière, mais chacun d'entre eux nous offre une véritable leçon d'histoire, un chapitre de l'existence deux fois millénaire de notre nation et de notre Église. Ils sont à nous, ils sont l'œuvre de nos ancêtres, nous devons les respecter, les aimer et les faire connaître. C'est ainsi que nous pourrons exprimer notre gratitude envers ceux qui nous ont légué ce précieux héritage.